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Le blog de c-manona.over-blog.com

HISTOIRES, ANECDOTES ET POEMES.

LES VOISINS - La rue des Eucalyptus

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Tout était nouveau dans sa vie.

D’abord leur rencontre, 2 mois plus tôt, puis son emménagement récent dans la petite maison de banlieue de Fort-de-France. Ce n’était pas vraiment une maison, du moins ce qu’elle avait l’habitude de voir lorsqu’elle vivait en Europe.

 

Le pavillon était flanqué d’un autre pavillon identique de chaque côté sur toute une travée. La société des HLM les avaient fait construire tous semblables et reliés entre eux,  une dizaine d’années plus tôt afin de loger, pas trop loin du centre-ville, les familles d’ouvriers et d’employés de maison qui bénéficiaient ainsi de logements décents mais très simples pour un loyer modéré. Certains, préféraient habiter la campagne et  sous louait la maison qui leur avait été attribuée par les services sociaux  augmentant ainsi leurs revenus modestes. Il fallait bien se débrouiller quand on n’était pas bien riche !

 

Chaque maisonnette bénéficiait d’une cour avant bitumée et servant de parking et d’une cour arrière où l’on faisait pousser quelques arbres, quelques plantes et son étendage à faire sécher le linge plein soleil, plein vent et en un tour de mains.

Leur cour arrière était agrémentée d’un oranger pratiquement sauvage dont les fruits immangeables, à la couleur incertaine, étaient recouverts d’une pellicule noirâtre, résultat sans doute d’un manque d’entretien sanitaire. Seul le citronnier, par miracle, échappait à la maladie et donnait, avec parcimonie, 2 ou 3 citrons verts chétifs et sans jus. Il manquait sans doute d’eau et l’arbre était planté dans une terre épuisée par les années passées vouées à la culture de la canne à sucre.

Dans cette petite cour on pouvait voir les 2 lignes tendues attendant les lessives hebdomadaires du mardi et du jeudi. Le linge frais lavé à la main claquait 2 petites heures le temps que vent et soleil fassent conjointement leur œuvre. A part ça, ni plantes vertes, ni fleurs. Pas vraiment un palace 4 étoiles. Les étoiles, elle les avait vues dans son regard à lui quand il lui avait fait sa demande le dimanche précédent.

 

Le pavillon, au fond, elle s’en fichait, pourvu qu’elle soit avec lui le plus souvent possible. Toute la vie. Elle avait 23 ans, lui 26. Jour et nuit, chaque matin, chaque soir, ensemble. Le jour, leurs regards rivés l’un à l’autre, la nuit collés peau contre peau. Autour de leur lit, radeau d’amour, n’importe quelle maison ferait bien l’affaire. Voilà ce qu’elle pensait, ce qu’elle désirait.

Elle emménagea le lendemain, avec pour tout bagage, 2 valises écossaises en carton, 1 sac et une petite malle, le cœur gonflé de son bel amour tout neuf pour lui. La maison était toute petite, le trousseau insignifiant. Leur amour était immense et merveilleux. Du moins, le croyaient-ils.

 

Elle ne prit conscience de son entourage que quelques jours après son installation. Elle n’avait jamais croisé ses voisins et ignorait qui pouvait bien vivre dans ce quartier. Les bruits étaient nouveaux pour elle.Tout d’abord, le chant des coqs au milieu de la nuit. Cela l’étonna. En Europe, les coqs dormaient sans tapage nocturne. Puis les aboiements incessants des chiens-errants se disputant sans doute quelques déchets au hasard des poubelles renversées, la tirèrent souvent du sommeil. Par-dessus tout, elle mit longtemps à s’habituer à la stridulation assourdissante des reinettes infatigables du coucher du soleil au lever du jour. A part les bruits de la nature qui la surprenaient elle se croyait seule au monde avec lui. Ils avaient une telle soif l’un de l’autre. Chaque nuit elle découvrait l’amour. Passionné, charnel. Violent et furieux comme un fleuve en cru. Il lui en apprenait toute la gamme. Elle se laissait emporter, douce et offerte, s’accrochant à ses bras puissants. Leur lit devenait radeau dans un voyage sans cesse recommencé. Le matin au réveil, l’après-midi pendant la sieste. La nuit antillaise n’en finissait pas. La maison était leur ile perdue, leur jardin d’Eden.

 

Ce soir-là, ils avaient diné très vite, davantage affamés d’eux-mêmes que des spaghettis bolognaises qu’elle avait préparés. Comme à l’accoutumée ils s’étaient retrouvés enlacés dans la chambre. Elle s’échappa de ses bras et traversa le couloir. Elle se précipita sous la douche et ouvrit le robinet. L’eau fraiche la fit frissonner de plaisir. L’eau ruisselait sur sa peau et lui procurait une détente agréable. Elle était heureuse et se sentait bien.

 

Soudain, quelque chose la tira de sa rêverie. Elle sentit une présence et leva les yeux vers les claustras en béton placés juste à sa droite. Deux yeux ronds comme hypnotisés la fixaient. Deux agates foncées. Incrédule, elle se figea quelques secondes. Un tressaillement de peur lui parcourut l’échine, puis elle hurla. Les yeux disparurent.

 

D’un bond, son amant alerté par son cri, atteignit la porte de la cuisine ouvrant sur la cour arrière. Il revint quelques minutes après, les pieds un peu écorchés. Il avait couru, sans chaussures, après une forme qui avait rapidement fondue dans la nuit.

Un voyeur. Ils avaient  affaire à un voyeur. Ils constatèrent que depuis les claustras de la salle de bains on voyait les ¾ du lit. Ils supposèrent que le voyeur venait assister à leurs ébats. C’était peut-être un spectateur assidu. Alors, il mit au point un stratagème pour le surprendre « la main dans le sac » et lui régler son compte. Le lendemain soir, ils feraient comme d’habitude. Enfin presque. Après diner, ils mettraient de la musique douce, éteindraient les lumières, sauf la lampe de chevet de la chambre. Pendant qu’elle s’allongerait sur le lit, lui guetterait par la porte entrouverte de la cuisine. A peine un mètre séparait la porte de l’endroit où devait se poster le voyeur. Il n’aurait qu’un pas à faire, la rapidité et l’effet de surprise aidant, il n’aurait sans doute aucune difficulté à le ceinturer. Le plan était bon, tout devait se dérouler à merveille.

 

Le lendemain soir, personne n’apparut mais le surlendemain tout se passa comme prévu….Alors on entendit dans la nuit, un cri de surprise, puis s’ensuivit quelques bruits de lutte. Le voyeur bien accroché au mur,  posté derrière les claustras, hissé sur la pointe des pieds pour mieux jouir du spectacle qu’il croyait offert une fois encore, se débattit un peu et bien que vigoureux il était maintenu par une poigne solide.

Il lui cria : « ah, tu veux voir, et bien entre, tu vas mieux voir ». Les deux antagonistes se retrouvèrent en 2 temps 3 mouvements enlacés comme des lutteurs, jusque dans la chambre, qu’elle avait quitté quelques secondes plus tôt. Elle entendait les coups qui pleuvaient drus sur le coupable, qui se mit à brailler en créole : « maman, viens, on est en train de tuer ton enfant. Maman, viens sauver ton fils".

 

Soudain, elle eut peur. Elle les avait vus rentrer dans la maison et s’enfermer dans la chambre. Le délinquant était un gamin, un peu gringalet. Il devait être âgé de 15/16 ans. Elle eut pitié de lui et cria à travers la porte : « arrête, laisse le partir, arrête, c’est un enfant », mais les coups pleuvaient toujours et le jeune garçon poussait des cris de goret qu’on égorge.

La porte s’ouvrit enfin. Il tenait le gamin les mains liées par une corde. Il porta, plus que traina le prisonnier jusqu’à l’entrée de la maison et alluma le projecteur de la cour. Stupeur ! Un groupe d’une dizaine de personnes leur faisait face, accouru aux cris et aux appels au secours de l'adolescent.

 Il affronta l’attroupement et leur parla en créole. Il expliqua ce qui s’était passé et interrogea une matrone « c’est vous la mère ? Elle acquiesça et attendit calmement une explication. Il reprit «  Voilà votre fils. Il vient regarder chez moi tous les soirs. Je lui ai donné une correction ».

 

La mère s’avança, ne fit ni une, ni deux. « Alors, untel, tu vas chez les voisins regarder ce qu’ils font ! Je ne t’ai pas élevé comme ça ». Et vlan, elle lui fila 2 taloches auxquelles il ne s’attendait pas, ce qui eut pour effet de le faire beugler à nouveau, et elle ajouta : « tu vas voir ton père quand il va rentrer demain matin ».

Là-dessus d’une forte poigne elle poussa son fils vers la porte du pavillon mitoyen, et dit à la cantonade « bien le bonsoir messieurs et dames », et disparut dans son logis. Personne ne pipa mot. La petite troupe se dispersa, chacun rentra chez lui. Il était temps d’aller dormir et le quartier replongea dans le calme de la nuit.

 

Au petit matin, ils entendirent à travers la cloison une forte voix d’homme en colère. Le gamin braillait à nouveau. Il  prenait sa troisième correction ! L’homme était agent de police et venait de finir sa nuit de garde. Il tenait à sa réputation !

 

Elle se dit qu’elle pouvait dormir tranquille. La rue des Eucalyptus était calme. Ils avaient de bons voisins.

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